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a chacun sa lettre « si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? » kafka aller au contenu accueil page d’exemple présentation ← articles plus anciens pendant que le loup n’y est pas publié le 24 février 2016 par achacunsalettre il y a un léger entrebâillement. ça se passe derrière ; ça se fond presque au décor. les murs, les étagères sur lesquelles sont posés quelques livres – des albums d’enfance remplis d’images –, la plante qui trône sur le poste de télévision, le parquet, le gros canapé avec ses motifs à pétales passés d’âge, le rideau et la large fenêtre qui donne sur la rue, tout a viré au bleu. sauf une tache rouge au centre du tableau, une petite fille, pas plus haute que le gros canapé, qui porte sur ses épaules les gouttes d’un ciel immense. le reste, ça se passe derrière ; ça ne se remarque presque pas tellement ça a imprégné une part d’elle-même et une part de conscience collective. c’est comme le refrain d’une comptine trop entendue dont on aurait noyé les couplets. pendant que le loup n’y est pas… alors ça n’aurait presque pas besoin de mots. dedans, un silence monochrome. mais dehors, vers où pointent l’œil et l’oreille de la petite fille, des traits libres et des perspectives qui déforment toujours un peu ce réel qu’elle ne retrouvera plus. son réel d’enfant. dehors : à l’abri d’un jardin qui est le lieu de tous ses après-midis et de tous les possibles, le dialogue entre l’infiniment petit et tout le reste encore laissé à l’inconnu. des bottes neuves à gueule de serpent qui ne craignent jamais la boue, des courses de fourmis, des combats de dinosaures, des plumes qui tissent leurs toiles entre les branches et les feuilles d’automne. et des fantômes d’amis imaginaires. aussi, des paroles intérieures et aucune notion du temps qui passe, pourvu que le portrait de la nature se remplisse à chacun de ses angles, que les têtes et les racines s’étalent de tout leur long au-dessus et en dessous, larges et fuyantes, jusqu’à recouvrir tout à fait le toit, les parois et les portes de la maison couleur ciel. pourvu que l’enfance en avale chacun de ses murs, lentement et complètement. il y a une autre petite fille ressemble à la première, un peu plus loin sur la carte. sa marelle se situe quelque part entre sa maison et celle de son amie de petite section, dans les rues de bruxelles. son refuge à elle n’est pas si différent, tenu à l’abri d’immeubles et de ciel de pluie. il est peuplé d’animaux de gouttière transformés en monstres géants, de flaques aux courants torrentiels et de frousses inventées dans l’unique but de faire d’elle l’héroïne de ses propres aventures. chacune sur leur terrain de prédilection, mathilde et valentine laissent les futilités comme les choses importantes aux adultes et à leur monde qu’elles ignorent encore. leur grande histoire à elles est un partage de figurines auxquelles on invente des vies et des prénoms et qui tiennent dans les paumes de leurs mains. et pour toutes les deux, un simple trajet en voiture se transforme en expédition de toute une vie. parfois, la voix maternelle perd un peu de sa douceur et efface la forêt de tranquillité dans laquelle elles ont trouvé refuge. elles pénètrent alors malgré elles dans un monde de grands où la transhumance se fait dans un « vacarme abominable » et fait taire les sourires, où les terrains de jeux deviennent des terrains de chasse. l’imagier puise dans un autre sol. ce ne sont plus des images d’albums que l’on remplit et annote ; on tourne une autre page. bientôt, la voix du père se superpose elle aussi à l’inquiétude ambiante. on cherche dans les couplets de la comptine d’enfance, on en ressort les paroles abandonnées qu’on avait voulu maintenues dans d’autres réalités. si le loup y était… © atrabile ça se passe derrière, à l’endroit où se terre le loup, dans ce bleu qui tire de fragile à profond, qui vire ensuite au gris, et qui comble le verso de leur décor. ça se prononce toujours de dos et furtivement ; ça reste enclos dans une bulle, jusqu’à ce que le mode change, du conditionnel à l’indicatif, avec la gravité de voix d’adultes. « il y a des enfants qui disparaissent. » mathilde et valentine restent de pleine face, le front collé à leurs rêves et à leurs images, et les pieds plongés en plein dedans. leurs préoccupations pourraient s’en tenir à l’équité de menus échanges, « ton pin’s peter pan contre ma bille de galaxie ! » mais le troc annonce un accroc inédit dans la communication. l’angoisse a supplanté la naïveté de l’ancienne carte postale. ici, le garçon au pin’s n’a déjà plus rien d’un peter pan, reclus derrière des barrières « pour ne pas qu’on l’enlève ». là, le visage d’un autre garçon se placarde dans les rues du quartier, « disparu » en lettres capitales au-dessus de sa tête. les animaux et les utopies élémentaires s’évaporent ; le crayon estompe les profils et éparpille les troncs et les souches. clairsemé, le nouveau décor ne se sature désormais plus d’images mais étouffe à cause d’ombres aussi invisibles que des rumeurs. qui n’en sont bientôt plus. « on a retrouvé leurs petits corps, c’était juste aux infos. attends, je ferme la porte. » loup ! y es-tu ? elles continueraient bien à se cacher dans leurs albums à défaut des forêts devenues interdites, le haut du corps en tout premier, puis de toutes les jambes agitées. elles enfreindraient bien quelques règles, se déguiseraient en garçons pour paraître plus fortes sur le trajet d’une maison à l’autre ; puis elles rayeraient les dessins sibyllins sur les murs et les nouveaux mots qu’elles entendent de la bouche des autres avant de se les approprier. elles n’en comprennent pas tout à fait le sens, mais peu importe, elles calquent leurs mots concrets sur des réalités abstraites. « pédophile ! c’est quand des messieurs sexent avec des mauvaises personnes. » ça sonne comme des insultes, mais différentes des petits mots d’oiseaux qui déboulent toujours dans les cours de récréation. valentine gallardo et mathilde van gheluwe s’écrivent et se dessinent parallèles, remplissent les premiers souvenirs d’images et laissent les seconds se vider de mots. par ébauches et par analogie, elles convoquent et crayonnent les tableaux qui se sont imprimés dans leur mémoire. ces petites filles des années 1990 vivant en belgique étaient celles qui poursuivaient leur ronde malgré tout, comme des danseuses échappées de la toile de matisse, croquée au hasard d’une planche. lorsqu’elles le pouvaient, elles s’en tenaient à cette ligne d’insouciance qu’elles avaient elles-mêmes tracée, à la fois libres et distraites. mais de plus en souvent, elles empruntaient des chemins de traverse et des raccourcis de l’école à chez elles, collées serrées en rangs d’oignon, la marche dans des rues « devenues dangereuses » laissée aux ordres de leur maîtresse et des plus grands. il te mangerait. © atrabile comme sur un calque inversé, révélant une ambiance sans besoin de trop de mots ni de trop d’échos explicites, les dessinatrices laissent peu à peu d’autres images se coucher sur le paysage habituel des petites filles qu’elles étaient. ce sont des images dynamiques, de magazines ou de télévision, faites de corps suintants qui rappellent les courbes impossibles des lithographies de femmes nues de schiele, croquées au hasard d’une autre planche. la balance, d’un univers à un autre, photographie également par endroits des moments précis. elle peut pencher du côté de simples anecdotes de bagarres d’école, puis du côté de monstres dont les actes se répandaient par colonnes dans les faits divers de presse locale, qui étaient venus remplacer les gentils méchants qui enflammaient leurs contes et comptines. elle retient aussi ce que leur mémoire a pu conserver d’une atmosphère ou de cauchemars soudains, et d’habitudes qui ont changé presque du jour au lendemain. mais elle n’appuie rien, ne se charge d’aucun pathos, laisse au contraire les deux univers se colmater. la mémoire des auteurs est ainsi une